C’est lors de l’apparition du CD que le phénomène de « guerre du son », aussi appelé “guerre du volume” (Loudness War), a pris toute son ampleur. Qu’est-ce que c’est? « La recherche d’un volume compétitif sur les enregistrements populaires modernes s’obtient par une compression dynamique sonore excessive et une surenchère des fréquences médianes au mastering pour augmenter la sensation subjective de volume sonore des musiques lors de leur diffusion. »
Pourquoi les fréquences médianes? Car l’oreille interne entend mieux ce type de fréquence. C’est donc l’analogie que l’on peut faire avec le CD, puisque c’est à cette époque que s’est énormément « commercialisée » la musique, avec l’apparition de beaucoup de productions pop FM dédiées à la radio.
Spécialiste en mixage et mastering d’album, Jean-Philippe Villemure nous a présenté, lors de la dernière soirée mensuelle du musiQCamp, l’origine du phénomène et les bases psycho-acoustiques qui le sous-tendent… Tout en expliquant que ce processus très commun a comme conséquence la dégradation de la qualité sonore de la musique. Un sujet technique ce mois-ci à MusiQCnumériQC que Jean-Philipe a « vulgarisé » au mieux.
Quelques détails techniques
Rappelons que le mastering est la dernière étape de production d’une œuvre, effectué juste après le mixage de la prise de son. Le mixage est l’ensemble des processus de changement de timbre (équalisation) et de dynamique (compression audio) sur chaque piste audio (instruments, voix…). Le mastering est le même processus sur le morceau entier. La frontière entre mixage et mastering n’est pas si éloignée.
A ne pas confondre :
La compression de données audio et la compression dynamique audio (qui est le cœur du sujet de « La guerre du son »). La compression de données audio a pour but de réduire la taille d’un fichier audio afin de répondre au besoin de bande passante et de la taille de stockage de fichiers (source Wikipedia). C’est le cas du MP3 et de beaucoup de formats Internet. Par exemple, l’algorithme du MP3 dégrade certains éléments et en fait « monter » d’autres, le tout étant plus compressé.
La compression audio aussi appelée DRC (Dynamic Range Compression) permet de réduire la dynamique du signal. Qu’est-ce que la dynamique, selon ce très bon article d’Audiofanzine :
« – La dynamique d’un instrument (en décibels), ou plus généralement d’un son, correspond au niveau de la crête maximale que l’instrument est capable de générer. C’est ce que nous appellerons le niveau sonore…
– La dynamique d’un support d’enregistrement correspond à l’écart entre le niveau de la crête maximale que ce support peut enregistrer et le niveau correspondant à l’absence de signal en entrée du support… Par exemple, si vous enregistrez un instrument sur une cassette analogique, le simple fait d’utiliser ce support vous impose d’avoir constamment un bruit de fond. Vous ne pourrez pas enregistrer un son d’un niveau plus faible que ce bruit de fond, puisque ce dernier recouvrira le signal utile. A contrario, au delà d’un certain niveau en entrée, l’enregistrement saturera, c’est à dire que les niveaux enregistrés correspondront à cette valeur maximale enregistrable par le support… »
Le graphique représente le taux de compression de groupes célèbres : sur l’axe horizontal la dynamique sonore, et sur l’axe verticale le volume sonore. Metallica arrive en tête de la compression pour l’album « Death Magnetic »: tellement élevée que les fans ont fait une pétition pour un remixage de l’album!
« La guerre du son » dans la musique contemporaine
– Un simple exemple : il suffit d’écouter la différence entre un film entrecoupé par des pubs. Le volume sonore n’est pas le même. La pub a tendance à être très forte, souvent masterisée de manière à ce que la voix ressorte plus. Jean-Philipe nous a fait un test en direct. Nous avons écouté Can, groupe de rock expérimental allemand des 70’s, à un certain volume. Par la suite, nous avons écouté un groupe pop FM 80’s, calibré pour la radio, toujours au même volume. Il ressort que l’on entend beaucoup plus les subtilités et les variations sur Can. Pour le groupe pop, la batterie est noyée dans le son, et la voix est mise en avant : c’est plutôt logique, car pour la plupart des gens la voix est ce que l’on écoute le plus dans un morceau.
A l’écoute de cette vidéo, on comprend mieux le concept de guerre du son :
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– Nous observons actuellement un retour au vinyle, une envie d’avoir l’objet en main propre, dans un contexte de musique dématérialisée. Effet de mode? Le son du vinyle est réellement plus « chaud », « plus rond ». Pourtant plus l’aiguille arrive vers le centre (vers la fin) moins il y a de dynamique; et le son faible est mélangé avec un bruit de fond de crépitement. Dans le domaine de la musique classique, ceci était un problème : la fin d’une face est souvent un crescendo, ce qui s’adapte mal avec une perte de dynamique. L’arrivée du CD a donc satisfait au mieux les amateurs de classique car tous les champs dynamiques étaient bien reproduit, sans bruits de fond. Le CD a un meilleur sceptre de fréquence que le vinyle. Bien que souvent critiqué, le CD n’en est pas moins mauvais : c’est souvent l’utilisation qu’on en fait qui est critiquable.
– Les remasters? Simplement un appui marketing pour la vente : le volume est généralement augmenté, mais cela n’apporte pas grand chose à l’écoute selon Jean-Philippe.
– Studio ou home-studio? Le home-studio a démocratisé l’accès à l’enregistrement avec des prix de moins en moins élevés et des interfaces simples. Dans un « vrai » studio, avec une tierce personne, on peut voir plus loin. Cette personne peut être (doit être) un membre du groupe à part entière suivant son expérience de travail et ses connaissances techniques. Il peut même travailler sur les clips (au niveau son), étant donné qu’il est déjà imprégné de l’univers du groupe.
Conclusion
Avec la réduction de la dynamique sonore, nous sommes à nous questionner sur la nécessité de l’émergence d’un nouveau monde « post guerre du son ». Vous êtes invité à en débattre ici-même dans les commentaires!
Finalement, quand on est artiste, cela semble compliqué selon le contexte et le degré de développement : Doit-on garder son propre son ou « s’assouplir » et « s’adapter » pour peut être viser une cible plus large? Un très vieux débat, au cœur de la guerre du son…
Crédit photo à la une: Philip meisner/Wikimedia Commons/CC BY-SA 3.0
3 comments for “La guerre du son, entre technique et réalité commerciale”